Celle qui fut moi (J-9)

Le prologue

Tout être humain aspire au miracle, croit au pouvoir d’une science qui ne dirait pas encore son nom mais prouverait que la mort n’existe pas ou que, du moins, la vie a encore sa chance. Comme la plupart de ceux qui ont abandonné toute croyance, religion ou balivernes au profit du charme d’une réalité sans fard, je m’en remets au possible en croyant seulement en la vie avant la mort. Je ne vais jamais à l’église, si ce n’est pour saluer le départ d’un être aimé, je fuis les voyantes et ne peux imaginer m’en remettre aux fantômes et aux amulettes pour justifier ma présence sur Terre. Avant, je pensais qu’on disparaissait purement et simplement, mais si j’en crois l’histoire insensée qui m’est arrivée et que j’ai décidé de ne pas taire, je n’ai pas toujours été si cartésienne.

Ce que je suis devenue aujourd’hui et la position que j’occupe m’interdisent de vous en dire davantage sur ma vie personnelle, plus publique que je ne l’aurais souhaité et, à dire vrai, tellement fouillée par les journaux qu’elle ne m’appartient plus. Tout le monde croit toujours que les gens connus veulent l’être : détrompez‑vous ! La notoriété amène une somme d’emmerdements dont vous n’avez même pas idée, ne serait‑ce que le simple fait de ne pas pouvoir faire un pas dehors sans être reconnue suffit à compliquer la vie quotidienne la plus élémentaire.

Au cours de l’histoire abracadabrante que j’ai vécue, je me suis demandé plusieurs fois si je n’étais pas un peu dingue, et vous me pardonnerez si je n’ai pas envie d’assumer ce récit sous le nom que je porte aujourd’hui. Faire cette incroyable découverte tout en donnant l’impression de mener une vie normale fut déjà très rude – quoique « vie normale » soit une expression inadaptée. Alors pour adoucir mes révélations, je me cacherai derrière un nom d’emprunt et celui d’une romancière qui s’interroge sur l’identité et, à nous deux, nous raconterons mon histoire sans qu’elle porte préjudice à ma carrière.

Depuis longtemps des éditeurs me proposent de mettre ma vie dans un livre en ayant recours à une plume. Pour ma part, je préfère le terme anglais de ghostwriter. Et si c’est bien de fantôme de vie qu’il s’agit, vous verrez à quel point nommer les choses correctement change la donne. Par pur esprit de bon sens, je préfère publier dans l’ombre d’un écrivain, et si je déçois mon éditeur en ne lui offrant pas la garantie d’un nom célèbre qui aurait fait vendre cet ouvrage, je lui assure une incroyable histoire vraie qui frôle la science‑fiction.

Sophia, mon double littéraire, tient quant à elle son nom d’un des premiers robots humanoïdes, présenté le 15 avril 2015 – date à laquelle commence mon histoire. Je trouvais que cette coïncidence ajoutait une suprême ironie à mes découvertes résolument tournées vers l’humain. Ce robot nouvelle génération est censé comprendre une conversation et fournir des réponses aux questions qu’on lui pose – par exemple : « Est‑ce que la porte est ouverte ? » Justement, c’est cette question‑là que je me suis posée en reconsidérant le temps et l’espace.

Extrait du début du roman Celle qui fut moi (sortie le 9 mars aux Editions de l’Observatoire) Frédérique Deghelt avec Sophia L

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