La vie d’une autre

Marie a vingt-cinq ans. Un soir de fête, coup de foudre, nuit d’amour et le lendemain… Elle se retrouve douze ans plus tard, mariée, des enfants et plus un seul souvenir de ces années perdues. Cauchemar, angoisse… Elle doit assumer sa grande famille et accepter que l’homme qu’elle a rencontré la veille vit avec elle depuis douze ans et ne se doute pas du trou de mémoire dans lequel elle a été précipitée. Pour fuir le monde médical et ses questions, elle choisit de ne rien dire et devient secrètement l’enquêtrice de la vie d’une autre. Ou plutôt de sa propre vie.

C’est avec une énergie virevoltante et un optimisme rafraîchissant que Frédérique Deghelt a composé ce roman plein de suspense sur l’amour et le temps qui passe, sur les rêves des jeunes filles confrontés au quotidien et à la force des choix qui déterminent l’existence.

Un roman porté à l’écran par Sylvie Testud

Dans le scénario de Sylvie Testud :

Marie fête ses 29 ans dans le sud. Elle vient d’être engagée pour un boulot. Elle tombe amoureuse de Paul Speranski, le fils de son employeur et passe la nuit avec lui. Lorsqu’elle se réveille le lendemain matin, son amant semble s’enfuir et elle ne reconnaît rien : ni la chambre, ni l’appartement… Et qui est ce petit garçon qui l’appelle maman derrière la porte ?

Marie vient de se réveiller 12 ans plus tard. Que s’est-il passé ? A-t-elle volontairement oublié 12 ans de sa vie ? Ce trou noir vient-il la libérer d’un carcan trop difficile à casser ? Marie découvre qu’elle a un fils avec Paul, son mari. Elle a maintenant une situation sociale privilégiée et une vie un peu difficile à comprendre. Son entourage la craint. Qui est-elle devenue ?

Et Paul son amour qu’elle regarde avec les yeux du premier jour, pourquoi est-il si agressif et si peu enclin à la prendre dans ses bras ?

Le film d’une autre : chronique du Journal de Fred écrite en décembre 2011

« Je dois visionner le film adapté de  La vie d’une autre. Projection privée dans les locaux de L’ARP. Pendant le week-end que je passe à Aix en Provence pour deux rencontres/signatures, je reçois un message de la productrice qui me propose d’assister à une projection lundi à midi.

Quand j’arrive, elle est déjà là; souriante, mais sans doute un peu tendu.  Dans la salle de projection, de beaux canapés Club en cuir nous attendent. Cela me rappelle le ciné 13, la salle de cinéma de Claude Lelouch, dans le 18ème, ma salle préférée.

Gilles Jacob, président du festival de Cannes et très proche de Juliette Binoche, est venu en ami pour découvrir le film. Il se met devant nous, seul. La productrice est à ma droite, et pendant la projection, je sens son regard que je devine inquiet dans ma direction.

J’ai tout le temps pendant le générique de début de me répéter que c’est incroyable et doux d’être là. Je vais voir cette histoire que j’ai rêvée et qui a déjà, sur l’écran blanc de ma page, revêtu tant de visages et de scènes, aussitôt balayés et remplacés par d’autres.

J’aime profondément le cinéma et je ne viens pas voir mon livre, ni ce qu’ils en ont fait. Non je n’ai pas peur, comme me le demandent mille fois les lecteurs lors des rencontres. Peur de quoi ? Que l’on ait changé mon histoire ? Je l’espère car si elle était trop fidèle, ce serait un fort mauvais film. L’ego de l’auteur blessé qu’on ait touché à sa sacro sainte inspiration mises en mots, très peu pour moi !  Je viens voir un film dont je connais très bien l’histoire, qui pendant un temps, fut la mienne, puis devint celle des lecteurs, pour enfin atterrir dans les bras de Sylvie Testud.

Ce qui pourrait me faire peur, c’est de visionner un film qui a perdu l’intensité de la trame narrative. Mais j’ai lu le scénario de Sylvie, je sais ce qui a disparu, ce qu’elle a ajouté, la colonne vertébrale de l’histoire reste là, ce qu’au cinéma, on appelle le pitch.

Une femme perd une partie de sa mémoire, les années qu’elle a vécu avec son mari pour retrouver l’innocence de leur première nuit et sauver son histoire d’amour.

Déjà, à la lecture du scénario, j’ai deviné une belle trahison. En s’appropriant le livre d’un autre, comme l’écrit Jean Tulard, dans son charmant Dictionnaire amoureux du cinéma (Plon), «le réalisateur dépose ses propres obsessions comme le coucou dépose ses œufs. J’aime l’idée d’une réalisatrice qui aurait posé ses œufs dans mon nid. Mais je n’ai encore rien vu et après avoir apprécié le talent de la scénariste, tout dépend de ses talents de réalisatrice, ce qui fait le charme des beaux films quand ils ressemblent à ce qu’ils racontent… Les mouvements de la caméra, la lumière, la façon dont les scènes se succèdent, la faculté des acteurs à nous faire croire qu’ils n’ont jamais été quelqu’un d’autre que cette Marie et ce Paul jetés dans cette histoire-là.

Juliette Binoche hérite elle d’une double difficulté: elle est une héroïne propulsée dans une histoire qui n’est plus la sienne mais celle de son passé oublié… Elle doit jouer tout en décalage, être paumée dans son propre rôle et rendre crédible une amnésie de 12 ans d’âge. Elle est à la fois l’âge auquel elle se croit, l’âge qu’elle a et celui qu’elle tente de récupérer.

A l’époque où je voulais savoir si cette histoire était possible alors qu’elle était déjà écrite et sur le point d’être publiée, j’eus eu la chance de faire pour France 5 une émission sur la mémoire. J’avais invité Hubert Nyssen, mon éditeur, comme invité d’honneur. Je supposais à juste titre que ce grand écrivain, grand éditeur serait un excellent candide pour interroger les spécialistes du cerveau et les renvoyer aux méandres de la mémoire sorcière. (L’ai-je vécu, écrit, perverti ? Ce qui m’en reste, est-ce le vrai souvenir, le souvenir de ce que j’ai écrit, ou la vérité de ce que j’ai vécu ?)

Tandis que nous marchions vers la salle maquillage où se trouvaient les scientifiques invités, je lui demandai: peut-être pourrais-je leur raconter l’histoire de La vie d’une autre afin que je sache enfin si c’est possible de perdre la mémoire sans rencontrer un trente-huit tonnes ? Il me regarda en riant. On s’en fiche, c’est vraisemblable. C’est ainsi qu’il m’énonça une des vérités premières du travail des romanciers. Freiner des quatre fers pour que nos histoires aient l’air vrai, et soient donc assez loin d’une réalité qui défie la fiction de ses invraisemblances. Je n’aurai pas l’insolence de citer quelques affaires récentes qu’aucun scénariste ou écrivain n’aurait imaginées par peur d’être taxé d’auteur barré à l’ouest !

Je l’appris ce jour-là, bien après l’avoir écrite puisque je n’avais pas pu me résoudre à faire une enquête pour le savoir: l’histoire de La vie d’une autre était possible. On pouvait perdre quelques années, voire toute la vie avec à un seul choc psychologique, à condition que les années oubliées aient du sens dans la perte. On me signala quand même que ce serait un sacré cas pathologique ! Dans le cas de Marie, j’avais inconsciemment respecté cette règle puisqu’elle avait oublié la totalité de sa vie avec son mari pour n’en garder que leur première nuit.

Un bon point pour le hasard, mais comme le dit Paul Eluard, il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous.

Aujourd’hui j’ai donc rendez vous avec l’histoire mise en images de Sylvie Testud, l’histoire d’une autre…

Comédie ou drame ? Comédie, si l’on a le sens de l’humour noir. Drame avec quelques moments comiques. J’admire le jeu de Juliette Binoche, son désarroi, ses essais vains pour s’adapter à cette situation effrayante. Elle a l’air hors de son corps. J’allais écrire: je la comprends, je l’ai vécu. Mais ce n’est pas vrai ! Cette situation, je l’ai seulement écrite, ressentie. Cela m’a traversée.

Le film me séduit, l’appartement dans lequel se réveille Marie est somptueux, froid effrayant. Devant cette femme innocemment amoureuse et minaudante, Mathieu Kassovitz est distant, hostile; malheureux aussi quand il n’est pas devant elle. Tout le temps de la projection, je me dis qu’on ne sait jamais où va se diriger l’histoire, ça ne ressemble à rien de classique. Marie se débat comme elle peut, apprend les choses et rame pour essayer de tirer un sourire à Paul dont elle ne sait rien et qui semble avoir réglé son comportement sur les années qu’ils ont traversées ensemble et sur lesquelles Marie n’a aucune information. Cette fille Jeanne déjà proche de lui quand ils se sont connus est toujours là, inquiétante, proche de lui… Maîtresse ? On ne sait pas, mais Marie, a tellement de choses à reprendre en main qu’elle ne peut rien empêcher.

La lumière du film est magnifique, tout est beau, perturbant pour le regard. Le luxe dont est entourée Marie et qui lui tire des fous rires nerveux est écrasant. Il martèle la femme qu’elle est devenue et dont elle cherche le reflet dans le regard de ceux qui l’ont connue.

La scène de fin que je devinais très émouvante à la lecture du scénario l’est plus encore avec le choix de la réalisatrice et le jeu subtil des acteurs. Elle a réussi à me faire pleurer et apparemment je ne suis pas la seule dans la salle ! Quel talent cette femme !

Merci chère Sylvie. C’était ma première fiction publiée, c’est votre premier film. »